Le 21 juillet 1912, Bellegarde est en effervescence.
On attendait la visite du Sénateur Dujardin-Beaumetz. Le conseil municipal est en ébullition.
On s'agite dans tous les coins de la mairie et du village.
Cette commune de quatre cents âmes s'apprête à inaugurer le nouveau groupe scolaire ainsi que le bâtiment de la mairie. Il faut savoir qu’auparavant l'école et la mairie se trouvaient sur la place de l'église. Mais vu le nombre croissant d'écoliers, la salle de classe devenait subséquemment trop étroite, les édiles ont alors décidé d'acheter un terrain et d'y construire un grand bâtiment. Pour y parvenir ils ont fait appel à des ingénieurs qualifiés. Un premier projet d'études avait été demandé en septembre 1901, puis un second en 1908. Par décision du 1er.mars 1910, le sous-préfet de Limoux fait connaître que le ministre de l'inspection publique approuvait le projet de cette construction.
L'architecte communal était M. Fournie et l'entreprise choisie, Labadie-Martineau.
Mais revenons à cette journée de liesse.
La veille au soir, la célébration avait été annoncée par le carillon des cloches et par la détonation des feux d'artifice.
Dans les foyers les préparatifs vont bon train. Dames et jeunes filles ont choisi leur plus jolie robe et les messieurs leur costume du dimanche. Il règne une certaine fébrilité. Même les enfants n'en finissent pas de grogner « On y va dis ? On va voir l'arrivée du train ? » demande un garçonnet en culottes courtes auprès de sa maman.
Chacun y va d'un dernier regard dans le miroir avant d'aller rejoindre la foule amassée dans la cour de la gare de la commune que la compagnie des chemins de fer du Midi a mise à la disposition du public.
On se presse afin de voir arriver les trains de Limoux et de Bram, avec à leurs bords les personnalités officielles.
La présidence de cette cérémonie a été confiée au sénateur et ancien député de Limoux. « Vite, le voilà ! Soyez sages les enfants ! »lance un papa à sa progéniture qui n'en finit pas de sauter.( Dujardin-Beaumetz Henri Charles Etienne, Artiste peintre - Homme politique, sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts, arrive dans sa rutilante voiture noire.
La foule le salue avec respect et le cortège se dirige , musique en tête, vers le grand édifice au seuil duquel , Paul Vives, le maire souhaite la bienvenue au président ainsi qu'aux autres invités. Il leur présente le conseil municipal et les maires venus du canton d'Alaigne et d'ailleurs.
Le sénateur exprime à son tour le plaisir qu'il a de se retrouver au centre d'une population profondément dévouée à la République. Et il ajoute avec un grand sourire « Vous pouvez compter sur moi en toute circonstance. »
Puis, il pénètre avec les invités dans la salle de la mairie qu'il visite avant de se rendre dans les salles de classes qui dégagent une bonne odeur de peinture fraîche, sans oublier les appartements réservés au corps enseignant.
Les émotions ouvrant l'appétit, les convives se bousculent pour accéder à la cour de l'école pavoisée en cette circonstance. Des tentes, réservées pour les grandes occasions, ont été plantées.
Sous le préau est dressé artistiquement la table d’honneur. Les tentures rubescentes dont on a recouvert les murs, donnent un aspect plus élégants. Le menu copieux et raffiné fait le délice des convives, unanimes à vanter r l'habileté du motel Michau de Montréal.
A cette grande fête sont présents, à côté du président :
Paul Vives ; Ms. Bonnail, nouveau député de l'arrondissement de Limoux ; Durand, député de Castelnaudary ; Piettre, sous-préfet de Limoux ; Canet, inspecteur d'académie ; Limouzy, juge de paix d'Alaigne ; Bousgarlives, Roche, Tisseyre, conseillers généraux.
Au total, 306 convives sont présents à cette inauguration et 80 repas seront servis à titre gracieux. Pas radin, le conseil municipal offre le café et les boissons.
Le premier magistrat prononce un discours devant l'auditoire. Il remercie le président et les autorités pour le concours apporté à la réalisation de ce projet. Le discours est suivi par ceux de M. Bonnail, Durand, Piettre, Canet.
Après le café, chacun se sépare en emportant au fond du cœur un réconfortant souvenir de ces festivités et de l'accueil offert par les administrés de ce village. Mais les autorités vont de surprise en surprise car dans la salle de la mairie le chœur de jeunes filles entonne une chanson en l'honneur de M. Bonnail.br/>
Les cuivres, dirigés par M. Balayé et dont certains musiciens sont originaires d'Escueillens, pousse avec véhémence une de ces Marseillaise... !
A 15 heures , il est proposé un important tour de village, musique en tête, avec le buste de Marianne placé sur un brancard et porté par des jeunes filles : mesdemoiselles Bélinette Journes, Marie Joffre, Palmyre Esquieu et Léonie Millet.
Le cortège part de la nouvelle mairie, traverse les rues principales, le Barry, le Thou, le chemin du Pech, la Portanelle et la grande place de l'église. Puis peu à peu se disloque car on a prévu de danser sur la place de la Portanelle. Et les demoiselles ont leur carnet de bal fort chargé.
Après quelques polkas où chacun rivalise de bonne humeur, le défilé se reforme vers 17 h afin de raccompagner Dujardin-Beaumetz à la gare où stationne son véhicule. Des vivats répétés se mêlent aux accents de la musique.
La foule a envahi la cour et les quais. Avant son départ, le président lance aux gracieuses jeunes filles qui portent la Marianne « Vive les Joconde de Bellegarde ! ».
Quand le secrétaire général, les divers fonctionnaires et autres personnalités eurent pris place dans le train, l'orchestre fit de nouveau entendre la Marseillaise. Alors s'échappa des poitrines rassemblées un cri frénétique et répété « Vive la République ! »
Le bal dura fort tard dans la nuit. On se souviendra pendant longtemps de cette journée. Petit à petit les danseurs désertent la place, les habitants sont éreintés. Chacun de hâte vers son lit. C'est le temps des moissons : il faudra se lever tôt.
Quand au conseil municipal il est satisfait de cette belle journée. Pas un seul incident ne l'a troublé. « Allez, au revoir, une autre rude journée nous attend demain mais cette fois-ci dans les champs. Et d'après cette voûte étoilée, je ne crois pas me tromper en vous disant qu'il va faire très chaud ». confie un habitant, songeur.
Le silence étreint le village. Les volets petit à petit se ferment. Un petit vent marin balaie les rues... "Ce sera ça de moins pour le cantonnier". pense des conseillers municipaux.
PHOTOS :
La photo de l'ancien bâtiment est une photo d'archive et celle de nos jours phographiée par moi-même.
Celle des musiciens m'a été donnée par un habitant d'Escueillens que je remercie.
Le sénateur Dujardin-Beaumetz qui décédera au château de La Bezole (Aude) sans descendance, le vingt-sept septembre 1913.
J'ai aimé l'histoire du cumulard, "le jocond"
RépondreSupprimerSurnom donné par l'opposition. Le maire de la Bezole, "la ou le ritou se désole", un sacré numéro qui aimait la bonne vie.
Bravo à vous "le bouchon"